Ce sera le début de la pacification que Soustelle veut entreprendre dans les régions les plus contaminées. Une opération de charme auprès de la population menée conjointement à la répression des bandes. Le principe des S.A.S. est bon. Un peu paternaliste mais, en 1955, ça vaut mieux que rien pour lutter contre la sous-administration. Un officier des affaires indigènes s'installera avec quelques troupes au milieu de la population et lui apportera aide et assistance : soins gratuits, vivres. Il parlera la langue. Il logera dans un bâtiment qui n'appartiendra pas à l'armée ou on lui donnera l'argent nécessaire pour bâtir sa SAS., qui devra être le coeur de la France qui battra dans chaque douar. Mi-bureau de bienfaisance, mi-bureau des pleurs, on n'oubliera pas non plus le bureau de renseignements, car on ne va quand même pas dépenser en vain des millions. Chaque officier S.A.S. photographiera ses ouailles, les fichera, dressera des listes, fera un état précis de la population, de ce qu'elle pense, des déplacements non justifiés de suspects éventuels.
Ces officiers S.A.S., on va en parler pendant sept ans. On les glorifiera, on les chargera de tous les péchés du monde, en général, et de la guerre d'Algérie, en particulier. On les soigne, on les surveille, on les balance surtout dans le bain sans grande préparation parce que le feu est dans la maison. Après avoir lutté contre les bureaux indigènes pendant des années voilà que maintenant on s'y remet avec frénésie.
Les bons officiers S.A.S. et il y en aura beaucoup, ont la flamme : ils font un bien considérable, donnent des conseils, prêtent la main et leurs hommes pour arranger un peu une mechta, contribuent à la nourriture du village en cas de coup dur, soignent les malades, gratuitement, simplifient toutes les complications administratives, aident à accoucher, à torcher les gosses, à apprendre l'hygiène, ils font tout ce qu'on aurait dû faire pendant des années. Ils vont se faire rapidement aimer de la population. Ils seront les cibles préférées du F.L.N. lorsque celui-ci va s'organiser. Ils vont payer un lourd tribut lors de cette guerre.
Ils auront plus de pertes que tous les administrateurs. Morts le coeur à la main, ils n'auront jamais droit aux photos des magazines, aux enterrements glorieux sous les phares de l'actualité.
Malheureusement, les S.A.S. ne recevront pas toutes leurs bons officiers. Il y aura les autres, beaucoup d'autres. Ceux qui transforment la S.A.S. en centre de renseignement avant tout, en centre de torture. En carrefour de toutes les malhonnêtetés. On verra des officiers s'achetant des mobiliers de luxe, dépensant un argent de poche considérable en virées à Alger ou en Métropole. Pour ceux-là, les visites domiciliaires, les contrôles de toute sorte, le chantage, la terreur, tout est source de revenus. Sans compter les ressources officielles de la S.A.S. On verra aussi des budgets gaspillés sur ordre avant le 31 décembre. Pas perdus pour tout le monde. Alors que certains officiers équipent leur S.A.S., viennent en aide à la population, d'autres volent et truquent leur comptabilité. Ceux-là n'auront guère de perte. Ce sont les principaux pourvoyeurs en hommes du F.L.N. Leurs injustices, leurs tortures, la peur qu'ils font régner, les bons résultats apparents qu'ils obtiennent dans une région terrorisée qui n'ose plus bouger, amènent à l'A.L.N. tous les hommes valides qui veulent se venger, ouvrent les portes de toutes les mechtas au moindre djoundi poursuivi.
Parti d'une idée généreuse, on fait de l'officier S.A.S. la bonne à tout faire de la guerre d'Algérie. La tâche est immense, il l'accomplit bien ou mal. Selon son caractère, ses aptitudes.